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La peur du loup n'a pas disparu | |||||||||||||||||
"Avoir peur du loup est quelque chose de tout à fait normal dans la société qui est la nôtre", rassure Pierre Mannoni, professeur de psychologie à l'université de Nice et auteur de "La Peur". Mais surtout, la peur nest pas quun avatar de lesprit humain. Elle possède plus dune fonction essentielle, tant à notre organisme quà nos sociétés. D'ailleurs, son omniprésence dans lespace et dans le temps en témoigne : il ny a pas de société - pas plus que dhomme - sans peur. Il est donc normal et, le plus souvent, sain d'avoir peur. Quant au loup, il est une figure quasi universelle de nos inconscients. Ainsi, les mécanismes de la peur, démontés un à un, mènent tous étrangement à la peur du loup. | ![]() |
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Avoir peur du loup est appris aux enfants dès leur plus jeune âge. Souvent, la peur est plus intense dans les régions où le loup a été éradiqué. Photo: H. Westerling | |||||||||||||||||
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La peur rend violent ou paralyse - La peur : revers d'une grande imagination - Une peur unique : celle de la mort, du diable, du loup - De l'insécurité à la violence - Le loup, bouc émissaire - La science recycle la peur - Une société unie par la peur | ||||||||||||||||
Face à une menace ou à quoi que ce soit ressenti comme tel, des stimuli génèrent dans les organismes animaux la peur, à laquelle ceux-ci répondent soit par un comportement dagressivité, soit par la fuite. Il est intéressant de constater que, malgré lusage que lon fait du concept, lagression ne relève donc pas moins de la peur que la fuite ou la soumission. Il est donc paradoxal dentendre un chasseur ou un agresseur quelconque affirmer quil na pas peur du loup. |
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La peur : revers d'une grande imagination La peur est donc présente chez tous les hommes, à des degrés divers, relatifs à lémotivité ou lanxiété. Elle apparaît très tôt chez lenfant, bien que celui-ci naisse avec un seuil de tolérance plus élevé. La première peur, cest le désir du nourrisson pour sa maman : la peur de la perte de celle-ci dès quelle séloigne. De cela découle la peur de létranger, de linconnu qui atteint son paroxysme avec « langoisse du huitième mois ». A deux ans et demi ou trois ans, apparaît la peur de lobscurité. Cette dernière réalise le passage de la psychologie individuelle à la mentalité collective puisquelle témoigne en réalité des résidus de leffroi causé par les ténèbres chez les premiers hommes. « Que la nuit soit inquiétante, tous les groupes humains en ont effectivement fait lexpérience, et ce, depuis les temps les plus reculés. Songeons à leffroi qui devait accompagner la tombée du jour pour les hommes des premiers âges, blottis les uns contre les autres au fond de quelque grotte, et rendus aveugles pour quelques heures aux périls ambiants et à lapproche des fauves. Les ténèbres peuvent donc receler des dangers objectifs dont les terreurs nocturnes évoquées ci-dessus prennent le relais en subjectivant les risques. Dans un cas comme dans lautre, on a une peur « dans » lobscurité qui sélabore peu à peu en peur « de » lobscurité ». (MANNONI, 1988, 20). Il y a donc un déplacement métonymique de la peur qui, sans doute, la menée au loup. |
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Deux facteurs font que lhomme est particulièrement en proie à cette peur de lobscurité. Tout dabord, lhomme est démuni (ni vue, ni odorat, ni ouïe bien développés en comparaison des autres mammifères). Ensuite, ceci expliquant peut-être cela, lhomme possède une puissante imagination. Cet imaginaire possède également de graves défauts : « A la limite, il nest plus besoin dun substrat perceptif quelconque, lesprit trouve en lui-même des ressources suffisantes et les fictions quil enfante ne senracinent pas nécessairement dans le réel. » (MANNONI, 1988, 21). | |||||||||||||||||
Une peur unique : celle de la mort, Une seconde grande peur collective est la peur des manifestations et des corps célestes (ce qui fera du ciel le séjour des dieux) : orage, grêle, tornade, tempête, inondation, sécheresse, mais aussi, astres, comètes, éclipses La lune, par exemple, sera lobjet dune véritable fascination, voire de cultes. Elle aussi sera associée au loup que lon croit volontiers entendre hurler à la lune, quand ce nest pas pour l'imaginer se transformer en loup-garou. |
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Faire peur pour avoir moins peur soi-même. La menace est un comportement de peur à part entière. De la fourrure qui se dresse pour effrayer, il ne nous reste que la chair de poule. Ph.: www.fantasy.apinc.org |
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Viennent ensuite les peurs issues de menaces récurrentes telles que famines, guerres, épidémies, invasions, révoltes, vagabonds, brigands Si celles-ci semblent bien combattues par les progrès techniques, elles ont en fait cédé le pas à la pollution des océans et de lair, la disparition des forêts, lempoisonnement chimique des cultures, les déficiences sanitaires de lélevage extensif, les catastrophes nucléaires | |||||||||||||||||
En réalité, toutes les peurs tournent autour dune peur unique : la peur de la mort. Il en va de même pour les peurs du surnaturel. La contagiosité de la mort est ainsi une vieille croyance qui voit revenir les défunts sous des formes très diverses. Aussi, les morts sont vengeurs. Cela trahit, selon Freud, une culpabilité qui sexplique par le fait que « la mort du parent a procuré satisfaction à un désir inconscient. » (MANNONI, 1988, 33). Ceci pourrait également expliquer les privations et les souffrances volontaires liées au deuil, ainsi que la pesanteur de nos pierres tombales et la profondeur de nos fosses. Lenfouissement dans la terre est alors révélation du refoulement dans les têtes. Restent alors parmi les peurs du surnaturel, les peurs de la fin du monde qui résonnent comme le jugement dernier dun dieu vengeur qui sassocie à la menace satanique pour causer le tourment des hommes. Pourtant, « même lorsque les agents de la peur ont les pieds sur terre, le danger quils véhiculent est, très souvent, rapporté à une volonté divine ou à un pouvoir démoniaque. On peut dire sans crainte dexagérer que, pour une bonne part, lunivers de la peur sent le soufre. » (MANNONI, 1988, 30). Incontestablement, cest le cas du loup, fréquemment assimilé au diable en personne. | |||||||||||||||||
Léthologie va nous permettre de mieux comprendre cette peur en la définissant comme un comportement normal préétabli à des fins tout à fait utiles. Tout dabord, « létat dalerte » et « la vigilance de base » sont liés à un sentiment quasi permanent dinsécurité dans un environnement qui, sil nest pas objectivement menaçant, est toujours inquiétant puisquil est source de subsistance. Sur ce plan, lintérêt des hommes pour lécologie est, en majorité, égoïste. En Belgique, les « verts » savent très bien quils doivent leur place au gouvernement à la crise de la dioxine qui a précédé de peu les élections. Linnéité de la peur devient quant à elle évidente lorsque lon tente de faire marcher un bébé sur une plaque de verre au-dessus du vide. Celui-ci ne sy aventure pas malgré quil nait jamais fait lexpérience de la chute. Ce qui mène à penser quil existe peut-être également une prédisposition innée à la peur du loup. |
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Un deuxième phénomène hautement intéressant mis en évidence par léthologie, est le « besoin de sécurité ». «Tous les êtres aspirent à la quiétude et au repos, états de relâchement des tensions, dont le point culminant est le sommeil. » (MANNONI, 1988, 55). Malgré tout, même dans le sommeil, lhomme ne trouve pas toujours de repos complet et le sentiment dinsécurité persiste. Cest ce que nous révèle la capacité de réveil en sursaut. Toutefois, ce sentiment dinsécurité peut être satisfait par le contact social. Dans lisolement, lanxiété de base se trouve renforcée. A partir de là, on peut imaginer que des sociétés de plus en plus individualistes, telles que les sociétés occidentales, ne peuvent quêtre dautant plus sujettes à leffroi lorsquon agite lépouvantail de linsécurité, sous quelque forme que ce soit. La peur se vend bien ; les politiciens le savent, au même titre que la télévision, les vendeurs darmes, etc. Privé de lapaisement du contact social, Mannoni rappelle que lindividu peut subir des troubles divers tel que « marasme physiologique et psychologique », « perturbation des relations interpersonnelles », « désordres de lagressivité, de la sexualité », ainsi que dautres grandes fonctions Quant aux forces de lordre, elles inquiètent autant quelles rassurent, puisquelles témoignent insidieusement de la présence de criminels. | ![]() |
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Dans la bande dessinée, et partout, le loup ne cesse de fasciner. L'individu est plus sujet à la peur s'il est isolé. Im.: www.fantasy.apinc.org | |||||||||||||||||
Troisième comportement relatif à la peur : la menace. Lanimal (homme inclus) qui a peur cherche à se rendre menaçant comme pour surcompenser sa propre peur par celle de lautre. Ainsi, se fait-il plus grand et plus volumineux en hérissant, par exemple, sa fourrure - lhomme, faute de fourrure, na plus que la chair de poule. Ceci a pour but de donner un avantage psychologique sur ladversaire. Cest ainsi que commence toute guerre, même la plus petite. La menace est un bluff, une procédure de maîtrise de la peur. Il sagit de faire peur pour avoir moins peur soi-même. Des stimulations exagérées peuvent provoquer des réponses amplifiées, voire excessives. Certains éléments peuvent activer particulièrement la peur : la couleur rouge, les casques de guerre à pointes, les cris et les percussions au combat Les cris et les hurlements sont donc selon Mannoni un facteur de peur excessive. Le hurlement du loup doit donc, sans doute, être considéré comme à lorigine, entre autres, de la peur abusive vis-à-vis de ce dernier. A côté de la « surstimulation », dautres voies peuvent mener à des peurs outrancières, voire à de véritables pathologies, et ce pour une collectivité entière parfois. |
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Quoi quil en soit, lobjet phobogène passe du domaine de la réalité objective à celui des valeurs symboliques. Il prend place dans une imagerie mentale souvent effrayante. La peur est donc dautant plus intense que lon a de limagination. Cest le revers de la médaille pour lhomme, qui en est relativement bien doté. Parmi les fantasmes très archaïques, celui de la dévoration est récurrent. Ces productions imaginaires serviraient à une réalisation symbolique dun désir inconscient. Le loup, symbole du « ça » ou de l « ombre » dans les contes et dans limagerie mentale, permettrait donc à celui qui limagine de réaliser virtuellement les pulsions quil est contraint de refouler. Le loup serait alors un « défouloir », cest-à-dire un bouc émissaire. |
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« Cette réparation de langoisse collective saccomplit dordinaire par la désignation dun bouc émissaire. Son expulsion, son exécution symbolique ou effective massivement pratiquée amène la résolution de létat de tension. » (MANNONI, 1988, 120). Ainsi, léternel retour de la rumeur sur un même objet peut être considéré comme le révélateur de la présence dun bouc émissaire : « Toutes les sociétés vivent leurs grandes crises comme des punitions : il faut alors chercher des boucs émissaires chargés inconsciemment des péchés de la collectivité. Dautre part, face à une crise inexplicable, désigner un coupable, cest trouver la cause du mal, donc effectuer un pas vers sa résorption. Les coupables potentiels sont toujours les mêmes : les étrangers, les mal intégrés dans la collectivité, ceux qui nen partagent pas les croyances. » (KAPFERRER, 1987, 144). | |||||||||||||||||
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La peur du loup, c'est la sienne. Finalement, le loup ne serait qu'un bouc émissaire. Symbole du mal, il offre à l'homme qui le hait et le détruit d'échapper à la colère divine. Ph.: B. Moriamé | |||||||||||||||||
Les peurs profanes, quant à elles émergent de ce que « le psychisme humain semble prédisposé à sémouvoir dès quun objet étrange ou nouveau fait irruption dans son champ de conscience. » (MANNONI, 1988, 95). Parmi elles, certaines peurs se retrouvent à tous les âges. Cest le cas de la peur permanente attachée à linsécurité matérielle, de la peur des ténèbres, du noir et de la nuit, ou de la peur de fin du monde, actuellement sous la forme de la peur de larme nucléaire. A ce titre, il est bon de rappeler que lexploitation de la peur dun groupe de gens à des fins intéressées ne relève ni plus ni moins que du terrorisme. Dautres peurs nont pas survécu, mais la plupart ont persisté sous des formes nouvelles, moyennant certaines adaptations. Ainsi, la relève des sorciers ou des revenants est-elle assurée par la peur dhypothétiques extraterrestres. Si la peur se porte bien, cest surtout grâce à la science. Cest son paradoxe : alors quelle espérait rationaliser les gens et résorber leur peur, elle en est désormais la source. La radioactivité et les déchets de lénergie nucléaire, les pollutions chimiques, la désertification, la couche dozone, la démographie galopante, les O.G.M., le clonage, linformatisation de la société A ce stade, il est intéressant de constater que, pour la plupart, ces nouvelles peurs sont bien légitimes. |
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La diffusion des peurs de masse connaît, selon Mannoni, trois principales formes : les rumeurs, les « contagions » et les psychoses collectives. « Qui dit rumeur dit peur », décèle J. Delumeau. (cité par MANNONI, 1988, 102). Il y aurait deux conditions pour voir naître une rumeur : quil sagisse dun événement important (quil fasse peur serait idéal) et que linformation soit ambiguë. En fait, la majorité des rumeurs se forment dune inquiétude latente. Les « contagions » sont des phénomènes bien plus étranges où les individus dun univers clos ou semi-clos sont très vite contaminés comme par une maladie contagieuse. Elles ne sont pas très éloignées des psychoses collectives. Ces dernières, sont légion dans lhistoire et ont causé exodes de populations entières, massacres, panique des armées, génocides (celui du loup, y compris). Les médias seraient en partie responsables de ces psychoses. Les puissants moyens modernes de communication de masse et de diffusion de linformation jouent, comme on sen doute, un rôle déterminant dans la mise en circulation de nouvelles mal contrôlées. | |||||||||||||||||
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Les peurs ont tellement été relayées et nourries par la rumeur qu'elles semblent, aujourd'hui, bien éloignées de la réalité. Photo : IWFEA | |||||||||||||||||
A partir de là, la présence inaliénable de la peur partout et tout le temps au cur des corps sociaux mène à penser, ainsi que le suggère P. Mannoni, quelle joue un rôle essentiel dans la vie de toute société. Les peurs auraient un sens et répondraient à un besoin. Les peurs permettent par exemple à une société de se connaître elle-même. Elles renseignent le groupe sur les contenus latents de ses productions imaginaires. Les dirigeants politiques et autres décideurs devraient donc en tenir compte, sans pour autant les retourner à leur avantage. De la même façon, la peur peut révéler les lacunes ou les excès du pouvoir politique, de même que beaucoup dautres abus. La peur est, selon Mannoni, un sérieux indice de la santé institutionnelle. De plus, la peur commune à un groupe dindividus possède un très fort pouvoir mobilisateur. Elle lui confère un véritable dynamisme. Elle est un « état communiel : lémotion partagée témoigne fortement de la présence des autres, de semblables, qui connaissent et redoutent les mêmes choses. ( ) Tout le monde a peur et, même si certains ont plus peur que dautres, le fait davoir peur ensemble prend un double sens : la solitude se trouve réduite tandis que les liens damitié et de solidarité dans le groupe sont augmentés en proportion inverse. Il sagit au fond dune communion émotionnelle » (MANNONI, 1988, 114-115). |
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